Portrait: Tatiana, la danse, encore et toujours.
.
.
.
.
Je rencontre Tatiana Zugazagoitia dans son atelier baigné de lumière en ce début d´après-midi d´automne. J´attends qu´elle termine une répétition. Puis elle apparait pour notre entrevue, resplendissante dans toute cette luminosité, le visage encore empreint des émotions ressenties lors de la répétition qu´elle vient d´avoir pour son prochain spectacle "Tarde en Mogador". Elle me parle d´elle, la danse, ses chorégraphies, en espagnol entrecoupé de français.
Tatiana, comment es-tu devenue danseuse?
A l´âge de six ans, j´accompagne une voisine à son cours de danse et… décide de danser! Mes parents m´inscrivent à un cours de danse classique. A 12 ans j´ai la chance d´avoir une maîtresse de l´école russe qui m´aide à me perfectionner techniquement et qui m´ouvre aussi les portes du monde de la danse contemporaine. Je prends également des cours de théâtre et c´est à 16 ans que j´obtiens une bourse pour partir en Russie étudier à l´Académie de ballet Vaganova à Saint-Pétersbourg, une école prestigieuse où ont été formés des danseurs et chorégraphes de renom. J´y reste deux ans et c´est pour moi une expérience extraordinaire car elle me permet de saisir l´essence de la danse classique, m´imprégner de son monde et bien sûr travailler la technique inégalable qu´offre cette école.
Puis je retourne à Mexico où je reprends des cours de danse classique et contemporaine. J´ai 18 ans et je suis dans l´incertitude pour définir ma carrière. Je pars alors six mois à Paris. Ce sera une sorte d´interlude pour chercher ma voie, me trouver pour ensuite m´engager dans le monde professionnel de la danse en offrant le meilleur de moi-même.
.
.
..
.
.
.
.
Tatiana tu parles parfaitement français.
Oui, toute une histoire qui provient de mes origines! J´ai étudié au lycée français de Mexico par idéalisme, si on peut dire, de ma famille, aussi bien paternelle que maternelle, pour leur admiration et leur gratitude envers la France. Mes grands parents maternels allemands ont fui l´Allemagne nazie pour se réfugier en France avant d´émigrer au Mexique et mon père, espagnol, a, à 14 ans, fui l´Espagne franquiste où son père venait d´être fusillé, pour passer en France. Durant son séjour en France, il étudie au lycée et est fasciné par la littérature française. Il émigrera ensuite au Mexique où il deviendra mathématicien. C´est d´ailleurs en enseignant à l´université de Mexico qu´il connaitra ma mère qui était l´une de ses étudiantes. Les épreuves vécues dans leur pays d´origine respectif créeront des liens très forts entre les deux familles. Et pour tout cela mes grands parents et mes parents tenaient que j´aille au lycée français.
.
.
.
.
.
.
.
Et après quel est ton itinéraire ?
Quand je reviens à Mexico je choisis de danser pour des compagnies de danse contemporaine indépendantes. Je veux pouvoir décider avec qui et quelles œuvres interpréter, n´avoir aucune entrave à mon désir de danser.
Je vais ensuite, encore avoir une opportunité extraordinaire pour ma carrière. En effet, j´étais alors fiancée à Xavier qui deviendra mon mari. Xavier est océanographe et va faire son doctorat à Hawaï. Je l´y rejoins et ai le privilège d´étudier et de danser avec Betty Jones, danseuse de la première compagnie de José Limón, chorégraphe d´origine mexicaine qui créé la technique Limón à l´origine de la danse contemporaine actuelle. Cette rencontre a une très forte influence sur mon avenir dancistique.
Deux ans plus tard nous retournons au Mexique et je continue à travailler avec des compagnies de danse indépendantes. Après quelques années, interpréter les chorégraphies des autres n´est plus suffisant pour moi, je veux créer mes propres spectacles pour exprimer ce que j´ai à dire. A ce moment je rencontre l´écrivain mexicain Alberto Ruy Sanchez, lis son livre "Los nombres del aire" ("Les visages de l´air") qui inspirera ma première chorégraphie, "Tarde en Mogador". Une amitié nait entre l´écrivain et moi et il me laissera interpréter librement son roman. J´obtiens l´appui de la Fonca (Fondo Nacional para la Cultura y las Artes) et en 1998 "Tarde en Mogador" sera interprété à Mexico puis à Costa Rica dans un festival de jeunes chorégraphes et aussi à Tokyo quelques années plus tard.
En 2000, ma fille de 4 ans me suggère de créer un spectacle infantile et ce sera "Buscando el camino me encontre…o la dulce Nina", toujours avec l´appui de la Fonca pour la production. Ce spectacle sera représenté une cinquantaine de fois. Je l´ai monté aussi avec la compagnie AlsurDanza à Merida, où je suis installée avec ma famille depuis 2004.
En 2003, j´obtiens une bourse de la Fonca pour jeunes créateurs et crée un spectacle d´humour noir qui combine danse et théâtre : "Recuerdos de infancia y un pollo".
En 2005 ce sera "Viaje al reencuentro". Ce spectacle, j´éprouve le besoin de le créer après le décès de mon père que j´adorais pour lui rendre hommage. Je vais à sa recherche avec cette chorégraphie et le retrouve en moi.
En 2007, ma collaboration avec le compositeur Sebastián Castagna nous amène à codiriger des pièces courtes créant des spectacles type performance avec musique et mouvement. L´une d´entre elles, "La versión d´Eolo" sera représentée en Irlande lors d´un concert de Sébastián. Ensuite nous montons ensemble, toujours en nous inspirant de l´Odyssée d´Homère, un spectacle, "La Mirada d’Ulises". En 2008, pour la première au théâtre Mérida, nous avons l´honneur de compter sur Horacio Franco, flûtiste de renommée mondiale.
En 2009, une comédie légère, pleine d´humour, mêlant danse et théâtre, "Breves episodios del cotidiano feminino" sera représentée de nombreuses fois à Mérida.
.
.
.
.
.
.
Comment définis-tu ton style de danse ?
Comme un amalgame de danse contemporaine et de théâtre. A partir de la conception de l´œuvre, je réalise la chorégraphie d´une manière théâtrale. Le mouvement nait de ce que je veux exprimer, il a un sens, une signification. La danse est en soi un langage abstrait, la part théâtrale permet au spectateur de mieux se connecter avec mon spectacle. Je rajoute aussi souvent des textes à mes œuvres. Plus que du pur mouvement engendrant un effet esthétique, mes spectacles sont réalisés à partir d´ histoires que je crée et qui suivent les méandres de ma vie. J´ai besoin d´exprimer, de partager mes peines, mes joies, bref tout ce que je ressens, par la chorégraphie. La danse est en quelques sortes mon exutoire!
.
Parle-nous de "Fuera de Centro".
C´est un espace culturel avec des cours pour les enfants et les adultes, créé en 2009 à Itzimná.
Cet espace propose de redécouvrir son corps. On se sert de notre corps, souvent on le malmène ou on l´oublie. L´idée est de lui donner un espace avec des activités qui vont nous permettre d´en reprendre conscience physiquement et émotionnellement
.
.
.
.
.
Quels sont tes projets ?
Très prochainement, le 3 novembre 2010 sera représentée ma toute première chorégraphie, "Tarde en Mogador", au théâtre Peón Contreras à Merida dans le cadre de l´automne culturel, ensuite je la danserais à Mexico au centre culturel universitaire de l’Unam puis le 4 décembre en France, au Festival Lettres d´Automne à Montauban avec les textes en français. J´y donnerais également un atelier de mouvements créatifs toujours dans le cadre du festival.
J´ai aussi le projet de travailler sur des poèmes japonais anciens traduits par le mexicain Aurelio Asiain et des poèmes érotiques d´Alberto Ruy Sanchez. J´aimerais interpréter ces pièces dans des galeries ou à l´extérieur, sortir la danse du théâtre pour la mêler à la vie des gens, rendre son approche plus accessible, moins solennelle.
Merci Tatiana.
Tatiana a déjà un parcours exceptionnel. Ses créations où dominent authenticité, sensibilité et originalité sont le reflet d´elle-même. Et nous ne pouvons qu´être dans l´attente de tout ce qu´elle a à nous offrir encore. En attendant venez la découvrir dans "Tarde en Mogador", un spectacle intime qui parle du désir, de l´amour, de la mélancolie à la fin d´une relation amoureuse, le tout dans l´ambiance sensuelle du roman "Los nombres del aire" ("Les visages de l´air") d´Alberto Ruy Sánchez. Mais chut, maintenant place au spectacle, le 3 novembre au théâtre Peón Contreras!
(Article: Martine Bordi pour QdN, octobre 2010).
Pour en savoir plus sur Tatiana, consulter les sites :
http://www.tatianazugazagoitia.com/
http://www.fueradecentro.com/
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.