Portrait : Patricia Martín, photographe.
Je rencontre Patricia Martín devant une tasse de café et suis emportée par son enthousiasme et sa vivacité. Les idées foisonnent chez cette jeune artiste. Elle se sert de son art pour aider les jeunes, les femmes, développer leur identité, améliorer leur condition. S´accepter soi-même et valoriser ses origines pour vivre mieux, Patricia leur démontre que c´est possible à travers l´art et particulièrement la photographie. Je l´écoute, je prends des notes. Mon café a refroidi depuis longtemps.
Patricia, comment es-tu devenue photographe ?
Le langage artistique m´a toujours attiré. J´allais, petite, à des cours de dessin, gravure, piano…J´ai ensuite compté sur l´appui de mes parents pour aller étudier et me spécialiser à Mexico et à l´étranger. L´art est devenu tout naturellement ma profession. Comme artiste je travaille non seulement avec la technique photographique mais aussi les arts visuels en général.
Je suis plus particulièrement intéressée par l´art activiste qui appelle à l´engagement et provoque la réflexion et inclut aussi d´autres disciplines comme l´ethnographie, la psychologie ou la sociologie.
Ta formation ?
J´ai obtenu une bourse du gouvernement français, la bourse excellence artistique de 2001 à 2003. J´étudiais à la ENSAD (Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs) et étais en même temps artiste invitée de l´agence Magnum. J´ai également gagné la résidence pour habiter à la Cité des Arts à Paris.
Puis j´ai suivi une formation en Espagne pour me spécialiser dans l´usage de l´art pour le développement social. Cela a toujours été un objectif pour moi que d´utiliser l´art comme un outil pour aider les gens à changer un peu leur vie. Il y a deux ans, j´ai été invitée à l´université d´Harvard pour présenter mes différentes expériences sur l´utilisation de l´art dans le développement social. C´est une tendance actuelle mais encore peu d´artistes l´utilisent au Mexique. Pour moi l´art est une façon de regarder le monde depuis un angle différent et s´ouvrir à la réflexion.
On devine à travers ton travail un grand respect pour la culture maya, quelle est ta relation avec cette culture?
Je suis née à Merida, mon père et ma mère sont dentistes tous les deux. Ils ont leur cabinet à Merida mais pendant une grande partie de mon enfance, ils allaient soigner les gens des villages du Yucatán les fins de semaine. J´ai donc passé, pendant plusieurs années, toutes les fins de semaine dans les villages et j´étais donc en contact avec la vie de ces villages, ses habitants, ses traditions. Dès petite, j´ai appris à connaitre et respecter la culture maya et me suis sensibilisée avec les problèmes des gens des zones rurales, j´essaye d´y remédier à ma façon aujourd´hui. Cette convivialité directe a produit en moi un compromis avec la culture maya et ses gens et est à l´origine de plusieurs projets que j´ai développé dans le but d´en faire connaitre toute la richesse.
Quels sont ces projets ?
Actuellement je coordonne un projet avec l´université UNO de Valladolid (La Universidad de Oriente) avec les étudiants en linguistique et culture maya. C´est un laboratoire de recherche artistique dans lequel l´exploration du langage artistique permet de comprendre mieux certains thèmes en rapport avec l´identité. Il conduit à une approche de la culture maya à partir de l´art en faisant appel à la créativité des participants. Mon but, dans cet atelier, est de me servir de l´art comme un moyen pour provoquer une rencontre entre les jeunes et leurs racines. Ils vont alors avoir un regard différent vis-à-vis de leur propre culture, la valoriser et pouvoir en être fier.
Les travaux élaborés lors de cet atelier feront partie d´une exposition photographique intitulée "Nosotros los mayas" comprenant aussi des vidéos et des témoignages des étudiants de comment se vit la culture maya aujourd´hui. Cette exposition voyagera en France dans la ville de Vannes en Bretagne dans le but de créer des ponts entre ces deux cultures ancestrales au parallélisme culturel et historique certain.
Un autre projet en coopération avec l´Université Uno est le calendrier linguistique maya.
Parle-nous de ce calendrier et des très belles photos qui l´illustrent et dont tu es l´auteure.
C´est un projet avec mon compagnon de vie, Erik Samson, politologue d´origine française et plus spécifiquement breton d´où notre intérêt pour ces deux cultures minoritaires, la maya et la bretonne qui présentent de nombreuses similitudes. Ensemble, nous avons créé une association civile, "Proyecto Meteorito". C´est la seconde année que nous éditons ce calendrier linguistique appuyés par l´université UNO de Valladolid. Nous avons réalisé une présentation commerciale attractive et utilitaire qui est plus qu´ un simple calendrier.
Avec ce calendrier la culture maya est présente chaque jour de l´année. Son but est de célébrer la diversité du Yucatán, en montrant ses racines à travers ces photos dont je suis l´auteure et avec lesquels j´ai voulu capter l´essence même de ses habitants, saisir un moment furtif de leur vie à travers un regard, une attitude. Nous avons aussi introduit des mots et des chiffres mayas. Tout le vocabulaire maya du calendrier est traduit en espagnol, français, anglais et aussi breton dans le cadre de l´échange culturel avec Vannes. Nous espérons que ces quelques mots du vocabulaire maya courant agiront comme une semence, donneront l´envie d´en apprendre plus sur cette culture qui ne se résume pas qu´à un folklore touristique de soleil, pierres et plage mais est une culture bien vivante.
D´autres projets ?
En plus du calendrier que nous espérons éditer chaque année, je poursuis le projet du laboratoire artistique avec les étudiants de la UNO et je viens aussi de terminer un atelier au CERESO (le centre de réhabilitation de l´état du Yucatán) avec l´appui de l´IEGY (l´institut pour l´égalité des genres du Yucatán). Le langage artistique a été, dans ce cas aussi, idéal pour favoriser la réflexion et contribuer au développement individuel des détenues. Je tiens aussi à remercier Graciela Cortés, recteur de la UNO et Georgina Rosado, directrice de l´IEGY pour leur appui et pour avoir confié dans ces nouvelles dynamiques dans le développement de groupes en désavantage social.
Tu es très impliquée aussi dans la condition des femmes.
Oui, j´ai donc réalisé ces ateliers au Cereso, la prison de Mérida. Ils ont permis aux détenues d´exprimer leurs problèmes à travers l´art, de les appréhender d´une manière différente et ainsi essayer de les résoudre.
J´ai également fait différents projets artistiques personnels qui me permettent d´évacuer toute l´énergie accumulée lors de ces ateliers.
Entre autres, il y a cette série de photos anciennes retouchées ("Esquelas matrimoniales", 2006-2007) à une époque à laquelle je travaillais avec des femmes souffrant de violence conjugale. C´est ma façon de parler de ce thème et d´y sensibiliser les gens. Je suis partie de photos anciennes que j´ai retouchées semant quelques indices sur l´histoire des sujets photographiés et celle des femmes dans une société conservatrice patriarcale. Dans cette série, le cliché de la photo de mariage comme la représentation du plus grand bonheur auquel peut aspirer la femme est nettement remis en question.
Récemment, j´étais à New York pour réaliser un travail sur les femmes mexicaines en situation migratoire illégale. Les photos issues de ce travail ("Princesas en NY", 2009) montrent tout ce que doivent endurer ces femmes pour survivre dans de telles conditions aux Etats Unis.
Je suis une artiste engagée. Mon but est d´aider les minorités, leur faire comprendre qu´être différent, loin d´être un handicap, est une richesse. En cette ère de la globalisation à tout prix, la diversité est une source de richesse. C´est mon message, celui que je veux transmettre avec mes propres moyens.
Un beau message, merci Patricia pour cette très intéressante entrevue.
Pour connaitre le travail de Patricia Martín, vous pouvez consulter son site internet: http://patimartin.com/ et y voir ses séries de photos, les vidéos de ses ateliers.
Le calendrier est encore en vente à Mérida à Dante et au musée d´art populaire.
(Article: Martine Bordi, janvier 2011)
Résultat d´un des ateliers imparti par Patricia au Cereso, "Mujer aguila", série : "Reincarnation". Chaque détenue a réalisé un dessin montrant ce qu´elle aimerait devenir, objet, animal ou personne.
Et dessous une image intérieure du calendrier linguistique maya 2011.